5 novembre 2008
Histoire de Brunoy et environs (Essonne)
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L'abbaye de Yerres, février 2002. Cl PH Bonnin.   L'abbaye de Yerres, cadastre napoléonien
 

UNE ABBAYE BENEDICTINE :
L'ABBAYE NOTRE-DAME DE YERRES


Véronique Robert-Aveneau - LE MONMARTEL 1995

 

Introduction | l'église | le cloître | la salle capitulaire | réfectoire, cuisine | le dortoir | travail | | la porterie, l'hôtellerie | les jardins | Chronologie simplifiée


Le monachisme prend ses origines dès 270 en Egypte où saint Antoine se retire dans le désert après avoir distribué tous ses biens (selon la doctrine de Jésus). Sa ferveur atteindra rapidement l'Europe sous le règne de Constantin vers 340.
Jusqu'au VIe siècle, les manuscrits de règles monastiques s'accumulent en désordre. C'est alors que saint Benoît de Nursie (480-547) fonde deux monastères : Subiaco, ensemble de petits hermitages (vers 1500) et le Mont Cassin. Il crée la règle à partir d'écrits antérieurs. Les moines qui obéissent à cette règle sont les bénédictins et doivent allier les activités manuelles à la prière et à la méditation.
Pendant les deux siècles qui suivent, les monastères se multiplient, mais sans structure, ni surveillance.
En 817, une première tentative de centralisation est lancée par saint Benoît d'Aniane (750-821), abbé d'Inda près de Cologne et conseiller intime de Louis le Pieux. En 816, le concile d'Aix annonce l'indépendance des monastères par rapport aux seigneurs et à l'église et exige l'observance de la règle de saint Benoît. Mais les possessions transforment les asiles de prières en seigneuries autonomes excitant l'envie des puissances laïques.
En 910, le monastère de Cluny est fondé par Guillaume le Pieux , il souhaite revenir au strict respect de la règle de saint Benoît, et crèe de nombreuses filiales de l'ordre de Cluny.
En 1098, saint Bernard de Clairvaux fonde l'abbaye de Citeaux et crée la branche des cisterciens qui accordent une plus grande part au travail manuel.
L'indépendance des monastères qui vivent en autarcie nécessite la recherche de sites retirés, boisés et près d'un point d'eau assurant la boisson des moines et parfois la force motrice nécessaire aux activités "industrielles" (moulin, forge...).
L'implantation de l'abbaye est dépendante des contraintes de terrain, les locaux où l'eau est nécessaire étant regroupés vers la rivière (cuisine, réfectoire). L'église étant orientée, les monastères s'édifient très souvent dans un vallon orienté Est-Ouest sur une plate-forme.
Après l'assainissement du terrain, les sources venant du plateau sont canalisées afin d'en rentabiliser l'utilisation.
La première tâche de l'abbé ou de l'abbesse est alors d'assurer des revenus à la communauté par l'acquisition de biens immobiliers, de dîmes et de rentes. Dès lors la notion d'autarcie n'est plus respectée et les abbayes reprennent un rôle monarchique.
Le monastère est particulièrement protégé et se munit d'enceintes de plus en plus fortifiées afin d'éviter le brigandage et d'assurer un isolement total face au monde environnant.
Chaque communauté devait cependant faire oeuvre de bienveillance et de charité. Ainsi tout voyageur, mendiant ou religieux, devait pouvoir recevoir logis et couvert à tout moment lorsqu'il se présentait à la porterie.

Un lieu de prière : l'église

La fonction primaire du monastère reste la prière. C'est à partir du lieu de culte qui devient alors un terrain d'élection pour la création architecturale et artistique, et après sa réalisation, que les bâtiments divers vont s'édifier.
Les églises sont orientées, le choeur à l'Est et très souvent l'espace est divisé matériellement en deux entre les moines convers et les hôtes dans la partie occidentale, les moines dans la partie orientale. L'accès des moines à l'église pour la première prière à 4 heures du matin s'effectue par un escalier descendant du dortoir, appelé "des matines".
Cette fonction définit ainsi le lieu du bâtiment des moines par rapport à l'église: à l'Est.
L'abbaye Notre-Dame-d'Yerres présente ici sa première particularité : le bâtiment des moniales est situé à l'Ouest. Ainsi malgré une église que l'architecture extérieure annonce comme orientée, le "choeur des dames" est à l'Ouest. Il est sur le plan du XVIIIe siècle nettement séparé de l'église des hôtes et des converses.
Le choix du terrain enserré entre la rivière de l'Yerres à l'Ouest et son affluent, le Réveillon au Sud a peut-être amené les concepteurs à réaliser l'entrée de l'abbaye au Nord-Est vers les fermes et terres.
Peu d'éléments nous permettent de connaître l'élévation intérieure de l'église. De taille modeste, elle était probablement voûtée en partie. Des vestiges de colonnettes et de bases du XVe
 ou XVIe siècle sembleraient appartenir à une reconstruction de l'église par Marie d'Estouteville. Cependant l'absence de contreforts extérieurs sur les dessins du XVIIe siècle laisse imaginer une nef charpentée éclairée par de simples baies ogivales.

Abbaye de Yerres. Sépulture ancienne. Cl Ph Bonnin.Un lieu de méditation : le cloître

Le silence observé dans l'église se poursuit par la méditation dans les allées du cloître. Par la volonté de se replier davantage sur eux-mêmes, les religieux adoptent le plan des villas gallo-romaines conçu autour d'un préau central carré ou rectangulaire à ciel ouvert. La vie monastique peut ainsi parfaitement s'organiser.
Les galeries du cloître sont ouvertes sur le préau par des arcatures en pierre régulièrement rythmées et ordonnancées par rapport aux axes du préau.
Les vestiges des galeries du cloître de l'abbaye Notre-Dame-d'Yerres ont permis de proposer une restitution de leur élévation. Elle se présente selon une file de supports en alternance de colonnes isolées et de colonnettes jumelées. Quelques chapiteaux parvenus jusqu'à nous permettent d'apprécier la finesse des sculptures alternant feuillages et figurines humaines.

Un lieu d'échange : la salle capitulaire

L'abbesse a pour rôle d'organiser la vie et la subsistance de la communauté. Une salle ouverte sur le cloître était réservée aux réunions entre les moniales et l'abbesse. Chaque jour un chapitre de la bible est lu avant de discuter des répartitions des tâches, des punitions des moniales ayant péché et des décisions importantes de relation de justice vis-à-vis du monde extérieur.
Tout près de la salle du chapitre, la salle des moniales : là elles recopiaient des manuscrits ou réalisaient des enluminures pour les cartulaires et obituaires de l'abbaye.
Ces deux salles importantes sont éclairées chacune par une baie ogivale et une porte en anse de panier à l'Est et deux grandes baies ogivales à l'Ouest. Probablement voûtées à l'origine, elles ont été couvertes au XVIe siècle par un plafond en bois.
Une école a été maintenue jusqu'à la révolution permettant aux novices de devenir religieuses professes.

Un lieu de ressources : réfectoire, cuisine

La seconde particularité de l'abbaye Notre-Dame-d'Yerres réside dans l'emplacement du réfectoire. Placé près de la rivière comme sa fonction le nécessite, il se situe à l'étage inférieur du dortoir des moniales. Un inconfort d'odeur devait en résulter. Mais surtout, la proximité immédiate des cuisines devait augmenter les risques d'incendie du bâtiment des moniales.
Légèrement en contrebas par rapport à la salle capitulaire, il était éclairé par six baies ogivales à l'Ouest.

Un lieu de repos : le dortoir

L'escalier menant du préau au dortoir était vraisemblablement situé dans l'angle Nord-Ouest du cloître.
Le dortoir occupe la longueur du bâtiment des moniales, soit 65 mètres entre pignons. Les baies nombreuses peuvent correspondre au nombre de cellules, soit environ 35.
Très vite la vie en communauté dans les dortoirs, associée à la baisse de fréquentation des abbayes par les religieuses décidera de l'aménagement des chambres individuelles et d'un appartement privé de l'abbesse. Ce dernier sera réalisé à l'extrémité Sud du bâtiment des converses sur le jardin. Il comprenait bien entendu une cheminée mais aussi des chambres pour les serviteurs personnels !

Un lieu de travail

Les activités manuelles qui faisaient partie intégrante de la Règle de saint Benoît sont petit à petit léguées à un personnel extérieur afin de forcer à réclusion les moniales. On trouve sur le plan du XVIIIe siècle, un atelier de menuiserie, une pharmacie, mais aussi une boucherie !
La ferme était située près de la porterie. Les arcades du pavillon d'entrée sont encore en place aujourd'hui ainsi qu'une partie des bâtiments.

Un lieu d'accueil : la porterie, l'hôtellerie

Les mendiants, les religieux itinérants pouvaient trouver logis et couvert en se présentant à la porterie, et un four extérieur permettait de distribuer des vivres aux "gens du dehors".
La porterie du XVIIIe siècle est encore en place avec ses deux arches d'entrée et sa porte d'origine.

Abbaye de Yerres. Cul de lampe; Cl Ph Bonnin.Un lieu de loisirs : les jardins

Dans l'enceinte de la clôture, un jardin a été aménagé autour des bâtiments claustraux.
Au Sud vers le Réveillon, de nombreux canaux encore en place permettaient de draîner le terrain et de canaliser l'eau. Elle desservait ainsi directement, le réfectoire, le lavoir, et les latrines. Un vivier assurait l'alimentation en poisson.
Le jardin à l'Est était beaucoup plus structuré avec des allées plantées.
Au Nord un potager et un verger complétaient les ressources primaires de l'abbaye.
Le mur de clôture visible actuellement le long de la rue et au pied du Réveillon est à l'emplacement de celui d'origine. Les jardins ont été diminués de moitié, mais l'ensemble garde une cohérence d'espaces qu'il est indispensable de conserver à la mémoire de chacun d'entre nous.


ABBAYE NOTRE-DAME-D'YERRES
Chronologie simplifiée

1124 Achat des terres par Eustachie de Corbeil
1130 Roi Louis VI Le Gros - Relation étroite entre le roi et les ordres monastiques. Edification bâtiments en bois + oratoire
1132 Installation de la communauté - Première abbesse : Hildegarde de Senlis
1138 Agrandissement des bâtiments et moulin sur le Réveillon - Louis VII
1147 Extension des bâtiments claustraux mais seule l'abbatiale est en pierre
1155 Première campagne de construction en pierre avec Clémence Loup (cloître)
1181 Obtention de la moitié du moulin de Mézières - Philippe Auguste
1190 Les religieuses des fermes réintègrent l'abbaye. Grande campagne de construction. Philippe Auguste
1207 Augmentation du nombre de personnes se réfugiant à l'abbaye à cause des guerres de Philippe Auguste (contre Jean sans terre). Capitulation de Rouen 1204. Ordonnance en 1207 pour limiter les religieuses à 80. Victoire de Bouvines en 1214
1203 Mouvement religieux. Concile de Latran (devoir pascal dans les paroisses)
1230 Importants travaux de consolidation au niveau du cloître. Abbesse Aveline
1270 Abbaye entièrement reconstruite à la place des anciennes constructions qui englobaient le Prieuré Saint-Nicolas
1280 Construction de l'hôtel rue des Nonnains d'Yerres. Période calme et prospère saint Louis
1285 Philippe le Bel
1312 Epidémie à l'abbaye. Décès de Marguerite de Courtenay
1330 Edouard III revendique le royaume de France. Guerre de cent ans
1317 Nouvelle épidémie à l'abbaye (adoption des méthodes de Cluny : nourriture). Difficultés financières, le clocher de l'abbatiale menace de s'écrouler. Agrandisement de la prison de l'abbaye.
1349 Guerre de cent ans - Epidémie de peste, pillards. De nombreuses religieuses rentrent dans leur famille, l'argent n'arrivant plus. Agrandissement de l'hôtel des Nonnains d'Yerres. Problème de recrutement, seulement 30 religieuses vers 1390
1395 Destruction de la ferme des Herces par les pillards. Charles VI. De nombreux paysans arrivent à l'abbaye pour y trouver refuge. Installation rapide d'une grande ferme. L'enclos est mis en culture
1413 Invasions anglaises (1415 défaite d'Azincourt). Les bâtiments de l'abbaye sont en mauvais état, subissant pillages et intempéries
1430 Les anglais sont maîtres en Ile de France (Jeanne d'Arc prisonnière à Compiègne) Roi Charles VII. Les moniales quittent l'abbaye. L'abbesse Marguerite des Guaculs quitte l'abbaye
1436 Etat désastreux des domaines (3 moniales à l'abbaye)
1450 Pénurie et disette, l'abbaye est abandonnée pendant six mois
1453 Reconstitution de la communauté
1460 Abbesse Jeanne de Rauvillle. L'abbatiale reçoit une toiture. Le cloître et les autres bâtiments sont consolidés et nettoyés. Vers 1490, reconstruction du mur de clôture par Jeanne Allegrin. Grande campagne de recrutement à l'abbaye.
1514 L'Evêché de Paris veut réformer tous les monastères bénédictins du diocèse. Les bâtiments de l'abbaye sont en ruine, il faut les restaurer. On tente d'imposer la clôture aux moniales mais elle jettent la grille dans le bassin. Les biens de l'abbaye furent saisis, les religieuses récalcitrantes changées de communauté, l'abbesse destituée. La cour ordonna la réintégration des religieuses mais aussi l'application de la réforme. Division des religieuses en trois selon la règle du grand prélat Etienne Poncher : Novices, Professes, Converses. 
Les religieuses vivaient désormais cloîtrées. (fin des travaux agricoles). Abbesse triennale
1520 Marie d'Estouteville fait reconstruire l'abbaye dont les bâtiments sont vieux et insalubres et des bâtiments plus grands sont reconstruits dont les réfectoire, cloître, salle de chapitre. L'abbatiale garda sa forme gothique avec une abside mais la nef est agrandie. Fin des constructions en 1527 François 1er (1515-1527)
1538 Environ 100 personnes vivent à l'abbaye (49 religieuses, 30 élèves à l'école, domestiques)
1544 Première abbesse de nomination royale : Marie de Pisseleu. Application du concordat de 1515 entre le pape Léon X et François 1er
1545 -1563 Concile de trente
1557 Pluies torrentielles, l'Yerres déborde, inondation de l'abbaye (enclos, cloître, chapelle). L'abbaye traverse les guerres de religion (1560) et l'abbesse quitte son abbaye pour solliciter les faveurs des adversaires. Mais le nombre de religieuses diminua de moitié entre 1555 et 1585
1587 Il reste 30 religieuses
1590 Henri IV rétablit la tranquillité. A nouveau les recrues arrivent à l'abbaye (mort d'Antoinette de Luxembourg après 50 années à la tête de l'abbaye)
1605 Importants travaux de remise en état des bâtiments (datant de 80 ans) après les guerres de religion ainsi que toutes les fermes
1610 L'abbaye est à bout de ressources
1612 Application du concile de Trente qui date de 50 années plus tôt. Abandon de la robe blanche portée à Yerres depuis 500 ans pour des vêtements noirs. L'abbaye dépend maintenant uniquement de RomeAbbesse (Catherine des Ursins) Abbaye dite royale, arrivée de nombreux tableaux, marbres d'Italie
1636 Abbesse Claire Diane d'Angennes de Rambouillet (nommée par le roi) 15 religieuses quittent l'abbaye, n'acceptant pas l'intruse. Restent 12 religieuses mais 6 d'entre elles refusèrent les réformes et quittèrent aussi l'abbaye
1640 Création des Camaldules. Repeuplement de l'abbaye avec des religieuses d'autres établissements
1652 (1648-1653) Batailles de la Fronde. Le Duc Charles de Lorraine puis l'armée de Turenne occupent et pillent l'abbaye, les religieuses s'enfuient
1653 Bâtiments en ruine. Reconstruction + tapisseries et objets d'art
1660 La ferme de l'abbaye est louée et isolée du reste des bâtiments par un mur
1670 Poursuite des travaux, réparation des bâtiments conventuels et de l'abbatiale (modification du portail façade renaissance + ornements Louis XIV) et des écussons de France à couronne royale et de Rambouillet. Sceau de l'abbaye remplacé par celui des armes de France et de Navarre accolées à l'écusson de Charlotte d'Angennes de Rambouillet
1671 Achat de la seigneurie d'Yerres mais le paiement est impossible. Vente de l'hôtel et des différentes possessions
1691 L'abbaye est ruinée - Créanciers à l'abbaye. Le château d'Yerres est loué - Nombreux emprunts
1703 Restent 50 religieuses (bourgeoises, pas nobles)
1712 Reconstruction de l'enclos, enclave d'un champ nouvellement reçu
1711 Epidémie (humidité et manque d'hygiène)
1713 Idem en 1717 (plus de 10 religieuses décèdent à chaque fois). Il reste environ 25 religieuses vers 1720
1730 De nombreuses religieuses partent vers de nouveaux prieurés
1742-1743 Epidémie à l'abbaye - 12 décès
1768 Ruine financière de l'abbaye (bail général de la manse abbatiale à un bourgeois de Paris)
1770 Les bâtiments de l'abbaye tombent en ruine - Quelques travaux - Communauté très endettée
1780 De nombreux travaux sont réalisés
1791 Consolidation des bâtiments et disparition des constructions en ruine
1789 Révolution
1793 Destruction de l'abbatiale et d'une partie du cloître