Histoire de Brunoy et environs (Essonne)
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UNE ABBAYE BENEDICTINE :
L'ABBAYE NOTRE-DAME DE YERRESVéronique Robert-Aveneau - LE MONMARTEL 1995
Introduction | l'église | le cloître | la salle capitulaire | réfectoire, cuisine | le dortoir | travail | | la porterie, l'hôtellerie | les jardins | Chronologie simplifiée
Un lieu de prière : l'église
Le monachisme prend ses origines dès 270 en Egypte où saint Antoine se retire dans le désert après avoir distribué tous ses biens (selon la doctrine de Jésus). Sa ferveur atteindra rapidement l'Europe sous le règne de Constantin vers 340.
Jusqu'au VIe siècle, les manuscrits de règles monastiques s'accumulent en désordre. C'est alors que saint Benoît de Nursie (480-547) fonde deux monastères : Subiaco, ensemble de petits hermitages (vers 1500) et le Mont Cassin. Il crée la règle à partir d'écrits antérieurs. Les moines qui obéissent à cette règle sont les bénédictins et doivent allier les activités manuelles à la prière et à la méditation.
Pendant les deux siècles qui suivent, les monastères se multiplient, mais sans structure, ni surveillance.
En 817, une première tentative de centralisation est lancée par saint Benoît d'Aniane (750-821), abbé d'Inda près de Cologne et conseiller intime de Louis le Pieux. En 816, le concile d'Aix annonce l'indépendance des monastères par rapport aux seigneurs et à l'église et exige l'observance de la règle de saint Benoît. Mais les possessions transforment les asiles de prières en seigneuries autonomes excitant l'envie des puissances laïques.
En 910, le monastère de Cluny est fondé par Guillaume le Pieux , il souhaite revenir au strict respect de la règle de saint Benoît, et crèe de nombreuses filiales de l'ordre de Cluny.
En 1098, saint Bernard de Clairvaux fonde l'abbaye de Citeaux et crée la branche des cisterciens qui accordent une plus grande part au travail manuel.
L'indépendance des monastères qui vivent en autarcie nécessite la recherche de sites retirés, boisés et près d'un point d'eau assurant la boisson des moines et parfois la force motrice nécessaire aux activités "industrielles" (moulin, forge...).
L'implantation de l'abbaye est dépendante des contraintes de terrain, les locaux où l'eau est nécessaire étant regroupés vers la rivière (cuisine, réfectoire). L'église étant orientée, les monastères s'édifient très souvent dans un vallon orienté Est-Ouest sur une plate-forme.
Après l'assainissement du terrain, les sources venant du plateau sont canalisées afin d'en rentabiliser l'utilisation.
La première tâche de l'abbé ou de l'abbesse est alors d'assurer des revenus à la communauté par l'acquisition de biens immobiliers, de dîmes et de rentes. Dès lors la notion d'autarcie n'est plus respectée et les abbayes reprennent un rôle monarchique.
Le monastère est particulièrement protégé et se munit d'enceintes de plus en plus fortifiées afin d'éviter le brigandage et d'assurer un isolement total face au monde environnant.
Chaque communauté devait cependant faire oeuvre de bienveillance et de charité. Ainsi tout voyageur, mendiant ou religieux, devait pouvoir recevoir logis et couvert à tout moment lorsqu'il se présentait à la porterie.La fonction primaire du monastère reste la prière. C'est à partir du lieu de culte qui devient alors un terrain d'élection pour la création architecturale et artistique, et après sa réalisation, que les bâtiments divers vont s'édifier.
Les églises sont orientées, le choeur à l'Est et très souvent l'espace est divisé matériellement en deux entre les moines convers et les hôtes dans la partie occidentale, les moines dans la partie orientale. L'accès des moines à l'église pour la première prière à 4 heures du matin s'effectue par un escalier descendant du dortoir, appelé "des matines".
Cette fonction définit ainsi le lieu du bâtiment des moines par rapport à l'église: à l'Est.
L'abbaye Notre-Dame-d'Yerres présente ici sa première particularité : le bâtiment des moniales est situé à l'Ouest. Ainsi malgré une église que l'architecture extérieure annonce comme orientée, le "choeur des dames" est à l'Ouest. Il est sur le plan du XVIIIe siècle nettement séparé de l'église des hôtes et des converses.
Le choix du terrain enserré entre la rivière de l'Yerres à l'Ouest et son affluent, le Réveillon au Sud a peut-être amené les concepteurs à réaliser l'entrée de l'abbaye au Nord-Est vers les fermes et terres.
Peu d'éléments nous permettent de connaître l'élévation intérieure de l'église. De taille modeste, elle était probablement voûtée en partie. Des vestiges de colonnettes et de bases du XVe
ou XVIe siècle sembleraient appartenir à une reconstruction de l'église par Marie d'Estouteville. Cependant l'absence de contreforts extérieurs sur les dessins du XVIIe siècle laisse imaginer une nef charpentée éclairée par de simples baies ogivales.Un lieu de méditation : le cloître
Le silence observé dans l'église se poursuit par la méditation dans les allées du cloître. Par la volonté de se replier davantage sur eux-mêmes, les religieux adoptent le plan des villas gallo-romaines conçu autour d'un préau central carré ou rectangulaire à ciel ouvert. La vie monastique peut ainsi parfaitement s'organiser.
Un lieu d'échange : la salle capitulaire
Les galeries du cloître sont ouvertes sur le préau par des arcatures en pierre régulièrement rythmées et ordonnancées par rapport aux axes du préau.
Les vestiges des galeries du cloître de l'abbaye Notre-Dame-d'Yerres ont permis de proposer une restitution de leur élévation. Elle se présente selon une file de supports en alternance de colonnes isolées et de colonnettes jumelées. Quelques chapiteaux parvenus jusqu'à nous permettent d'apprécier la finesse des sculptures alternant feuillages et figurines humaines.L'abbesse a pour rôle d'organiser la vie et la subsistance de la communauté. Une salle ouverte sur le cloître était réservée aux réunions entre les moniales et l'abbesse. Chaque jour un chapitre de la bible est lu avant de discuter des répartitions des tâches, des punitions des moniales ayant péché et des décisions importantes de relation de justice vis-à-vis du monde extérieur.
Un lieu de ressources : réfectoire, cuisine
Tout près de la salle du chapitre, la salle des moniales : là elles recopiaient des manuscrits ou réalisaient des enluminures pour les cartulaires et obituaires de l'abbaye.
Ces deux salles importantes sont éclairées chacune par une baie ogivale et une porte en anse de panier à l'Est et deux grandes baies ogivales à l'Ouest. Probablement voûtées à l'origine, elles ont été couvertes au XVIe siècle par un plafond en bois.
Une école a été maintenue jusqu'à la révolution permettant aux novices de devenir religieuses professes.La seconde particularité de l'abbaye Notre-Dame-d'Yerres réside dans l'emplacement du réfectoire. Placé près de la rivière comme sa fonction le nécessite, il se situe à l'étage inférieur du dortoir des moniales. Un inconfort d'odeur devait en résulter. Mais surtout, la proximité immédiate des cuisines devait augmenter les risques d'incendie du bâtiment des moniales.
Un lieu de repos : le dortoir
Légèrement en contrebas par rapport à la salle capitulaire, il était éclairé par six baies ogivales à l'Ouest.L'escalier menant du préau au dortoir était vraisemblablement situé dans l'angle Nord-Ouest du cloître.
Un lieu de travail
Le dortoir occupe la longueur du bâtiment des moniales, soit 65 mètres entre pignons. Les baies nombreuses peuvent correspondre au nombre de cellules, soit environ 35.
Très vite la vie en communauté dans les dortoirs, associée à la baisse de fréquentation des abbayes par les religieuses décidera de l'aménagement des chambres individuelles et d'un appartement privé de l'abbesse. Ce dernier sera réalisé à l'extrémité Sud du bâtiment des converses sur le jardin. Il comprenait bien entendu une cheminée mais aussi des chambres pour les serviteurs personnels !Les activités manuelles qui faisaient partie intégrante de la Règle de saint Benoît sont petit à petit léguées à un personnel extérieur afin de forcer à réclusion les moniales. On trouve sur le plan du XVIIIe siècle, un atelier de menuiserie, une pharmacie, mais aussi une boucherie !
Un lieu d'accueil : la porterie, l'hôtellerie
La ferme était située près de la porterie. Les arcades du pavillon d'entrée sont encore en place aujourd'hui ainsi qu'une partie des bâtiments.Les mendiants, les religieux itinérants pouvaient trouver logis et couvert en se présentant à la porterie, et un four extérieur permettait de distribuer des vivres aux "gens du dehors".
La porterie du XVIIIe siècle est encore en place avec ses deux arches d'entrée et sa porte d'origine.Un lieu de loisirs : les jardins
Dans l'enceinte de la clôture, un jardin a été aménagé autour des bâtiments claustraux.
Au Sud vers le Réveillon, de nombreux canaux encore en place permettaient de draîner le terrain et de canaliser l'eau. Elle desservait ainsi directement, le réfectoire, le lavoir, et les latrines. Un vivier assurait l'alimentation en poisson.
Le jardin à l'Est était beaucoup plus structuré avec des allées plantées.
Au Nord un potager et un verger complétaient les ressources primaires de l'abbaye.
Le mur de clôture visible actuellement le long de la rue et au pied du Réveillon est à l'emplacement de celui d'origine. Les jardins ont été diminués de moitié, mais l'ensemble garde une cohérence d'espaces qu'il est indispensable de conserver à la mémoire de chacun d'entre nous.
ABBAYE NOTRE-DAME-D'YERRES
Chronologie simplifiée
1124 | Achat des terres par Eustachie de Corbeil |
1130 | Roi Louis VI Le Gros - Relation étroite entre le roi et les ordres monastiques. Edification bâtiments en bois + oratoire |
1132 | Installation de la communauté - Première abbesse : Hildegarde de Senlis |
1138 | Agrandissement des bâtiments et moulin sur le Réveillon - Louis VII |
1147 | Extension des bâtiments claustraux mais seule l'abbatiale est en pierre |
1155 | Première campagne de construction en pierre avec Clémence Loup (cloître) |
1181 | Obtention de la moitié du moulin de Mézières - Philippe Auguste |
1190 | Les religieuses des fermes réintègrent l'abbaye. Grande campagne de construction. Philippe Auguste |
1207 | Augmentation du nombre de personnes se réfugiant à l'abbaye à cause des guerres de Philippe Auguste (contre Jean sans terre). Capitulation de Rouen 1204. Ordonnance en 1207 pour limiter les religieuses à 80. Victoire de Bouvines en 1214 |
1203 | Mouvement religieux. Concile de Latran (devoir pascal dans les paroisses) |
1230 | Importants travaux de consolidation au niveau du cloître. Abbesse Aveline |
1270 | Abbaye entièrement reconstruite à la place des anciennes constructions qui englobaient le Prieuré Saint-Nicolas |
1280 | Construction de l'hôtel rue des Nonnains d'Yerres. Période calme et prospère saint Louis |
1285 | Philippe le Bel |
1312 | Epidémie à l'abbaye. Décès de Marguerite de Courtenay |
1330 | Edouard III revendique le royaume de France. Guerre de cent ans |
1317 | Nouvelle épidémie à l'abbaye (adoption des méthodes de Cluny : nourriture). Difficultés financières, le clocher de l'abbatiale menace de s'écrouler. Agrandisement de la prison de l'abbaye. |
1349 | Guerre de cent ans - Epidémie de peste, pillards. De nombreuses religieuses rentrent dans leur famille, l'argent n'arrivant plus. Agrandissement de l'hôtel des Nonnains d'Yerres. Problème de recrutement, seulement 30 religieuses vers 1390 |
1395 | Destruction de la ferme des Herces par les pillards. Charles VI. De nombreux paysans arrivent à l'abbaye pour y trouver refuge. Installation rapide d'une grande ferme. L'enclos est mis en culture |
1413 | Invasions anglaises (1415 défaite d'Azincourt). Les bâtiments de l'abbaye sont en mauvais état, subissant pillages et intempéries |
1430 | Les anglais sont maîtres en Ile de France (Jeanne d'Arc prisonnière à Compiègne) Roi Charles VII. Les moniales quittent l'abbaye. L'abbesse Marguerite des Guaculs quitte l'abbaye |
1436 | Etat désastreux des domaines (3 moniales à l'abbaye) |
1450 | Pénurie et disette, l'abbaye est abandonnée pendant six mois |
1453 | Reconstitution de la communauté |
1460 | Abbesse Jeanne de Rauvillle. L'abbatiale reçoit une toiture. Le cloître et les autres bâtiments sont consolidés et nettoyés. Vers 1490, reconstruction du mur de clôture par Jeanne Allegrin. Grande campagne de recrutement à l'abbaye. |
1514 | L'Evêché
de Paris veut réformer tous les monastères bénédictins
du diocèse. Les bâtiments de l'abbaye sont en ruine, il faut
les restaurer. On tente d'imposer la clôture aux moniales mais elle
jettent la grille dans le bassin. Les biens de l'abbaye furent saisis,
les religieuses récalcitrantes changées de communauté,
l'abbesse destituée. La cour ordonna la réintégration
des religieuses mais aussi l'application de la réforme. Division
des religieuses en trois selon la règle du grand prélat Etienne
Poncher : Novices, Professes, Converses.
Les religieuses vivaient désormais cloîtrées. (fin des travaux agricoles). Abbesse triennale |
1520 | Marie d'Estouteville fait reconstruire l'abbaye dont les bâtiments sont vieux et insalubres et des bâtiments plus grands sont reconstruits dont les réfectoire, cloître, salle de chapitre. L'abbatiale garda sa forme gothique avec une abside mais la nef est agrandie. Fin des constructions en 1527 François 1er (1515-1527) |
1538 | Environ 100 personnes vivent à l'abbaye (49 religieuses, 30 élèves à l'école, domestiques) |
1544 | Première abbesse de nomination royale : Marie de Pisseleu. Application du concordat de 1515 entre le pape Léon X et François 1er |
1545 -1563 | Concile de trente |
1557 | Pluies torrentielles, l'Yerres déborde, inondation de l'abbaye (enclos, cloître, chapelle). L'abbaye traverse les guerres de religion (1560) et l'abbesse quitte son abbaye pour solliciter les faveurs des adversaires. Mais le nombre de religieuses diminua de moitié entre 1555 et 1585 |
1587 | Il reste 30 religieuses |
1590 | Henri IV rétablit la tranquillité. A nouveau les recrues arrivent à l'abbaye (mort d'Antoinette de Luxembourg après 50 années à la tête de l'abbaye) |
1605 | Importants travaux de remise en état des bâtiments (datant de 80 ans) après les guerres de religion ainsi que toutes les fermes |
1610 | L'abbaye est à bout de ressources |
1612 | Application du concile de Trente qui date de 50 années plus tôt. Abandon de la robe blanche portée à Yerres depuis 500 ans pour des vêtements noirs. L'abbaye dépend maintenant uniquement de RomeAbbesse (Catherine des Ursins) Abbaye dite royale, arrivée de nombreux tableaux, marbres d'Italie |
1636 | Abbesse Claire Diane d'Angennes de Rambouillet (nommée par le roi) 15 religieuses quittent l'abbaye, n'acceptant pas l'intruse. Restent 12 religieuses mais 6 d'entre elles refusèrent les réformes et quittèrent aussi l'abbaye |
1640 | Création des Camaldules. Repeuplement de l'abbaye avec des religieuses d'autres établissements |
1652 | (1648-1653) Batailles de la Fronde. Le Duc Charles de Lorraine puis l'armée de Turenne occupent et pillent l'abbaye, les religieuses s'enfuient |
1653 | Bâtiments en ruine. Reconstruction + tapisseries et objets d'art |
1660 | La ferme de l'abbaye est louée et isolée du reste des bâtiments par un mur |
1670 | Poursuite des travaux, réparation des bâtiments conventuels et de l'abbatiale (modification du portail façade renaissance + ornements Louis XIV) et des écussons de France à couronne royale et de Rambouillet. Sceau de l'abbaye remplacé par celui des armes de France et de Navarre accolées à l'écusson de Charlotte d'Angennes de Rambouillet |
1671 | Achat de la seigneurie d'Yerres mais le paiement est impossible. Vente de l'hôtel et des différentes possessions |
1691 | L'abbaye est ruinée - Créanciers à l'abbaye. Le château d'Yerres est loué - Nombreux emprunts |
1703 | Restent 50 religieuses (bourgeoises, pas nobles) |
1712 | Reconstruction de l'enclos, enclave d'un champ nouvellement reçu |
1711 | Epidémie (humidité et manque d'hygiène) |
1713 | Idem en 1717 (plus de 10 religieuses décèdent à chaque fois). Il reste environ 25 religieuses vers 1720 |
1730 | De nombreuses religieuses partent vers de nouveaux prieurés |
1742-1743 | Epidémie à l'abbaye - 12 décès |
1768 | Ruine financière de l'abbaye (bail général de la manse abbatiale à un bourgeois de Paris) |
1770 | Les bâtiments de l'abbaye tombent en ruine - Quelques travaux - Communauté très endettée |
1780 | De nombreux travaux sont réalisés |
1791 | Consolidation des bâtiments et disparition des constructions en ruine |
1789 | Révolution |
1793 | Destruction de l'abbatiale et d'une partie du cloître |